La mort du Lion, une nouvelle d’Henry James

Dans cette très courte nouvelle datant de 1894, Henry James trace le portrait d’un écrivain qui doit faire face à une soudaine notoriété et toutes les conséquences que cela entraîne. Par ce biais, il fait une critique profonde de ce que l’on appellerait aujourd’hui « le monde médiatique » et « la presse people ». Plus de 120 ans après sa publication, cette œuvre a toujours autant de sens, si ce n’est plus, dans notre société basée sur l’image et le paraître.

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Titre : La mort du Lion (The death of the Lion)

Auteur : Henry James

Année de parution : 1894

Pages : 128

Genre : littérature américaine, classique, nouvelle

 

L’histoire


Un jeune journaliste veut impressionner son nouveau patron en lui proposant d’interviewer Neil Paraday, un grand écrivain, autrefois célèbre, qui vient de publier un nouveau roman. Paraday, un vieil homme malade, qui aime le calme et la solitude, accueille toutefois le jeune homme très chaleureusement. Un lien se tisse entre eux au point que Paraday le prend comme secrétaire particulier et lui lit le brouillon de son nouveau projet.

Un article élogieux dans le journal l’Empire met Paraday sous le feu des projecteurs.

« Son nouveau livre, le cinquième de sa main, n’était sorti que depuis un jour ou deux, Et l’Empire déjà au courant, tirait, comme pour une naissance princière, les salves d’une colonne . Les canons tonnaient depuis trois heures dans la maison sans que nous nous en fussions doutés. Le grand journal tonitruant l’avait découvert et maintenant il le proclamait, l’adoubait, le couronnait. Sa place lui était assignée aussi publiquement que si un gros huissier lui indiquait avec son bâton le siège le plus élevé ; il devait monter et encore monter, plus haut et encore plus haut, entre les regards curieux et les murmures envieux, jusqu’au dais et jusqu’au trône. »

Il se retrouve assailli par les journalistes à la recherche de détails croustillants sur sa vie, et se voit obligé de se rendre dans les dîners mondains, de recevoir des admirateurs, de se faire faire un portrait par un jeune peintre à la mode. Paraday est terrifié par tout ce remue-ménage autour de sa personne.

« Sa terreur momentanée avait été réelle, comme la mienne : son désir ombrageux et passionnée d’être laissé tranquille pour finir son œuvre. Il n’était pas du tout sauvage, mais sa conception de la tranquillité était la plus rigoureuse que j’eusse connue. Pour le moment, toutefois, il prenait son profit là ou il s’en présentait le plus à lui, en ayant gardé en poche les sophismes portatifs sur la nature de la tâche de l’artiste. »

Il tombe entre les griffes de Mrs Weeks Wimbush, une notable qui le tient comme l’attraction du moment et souhaite l’exhiber à ses amies et relations.

« Mrs Weeks Wimbush, femme de l’inépuisable brasseur et propriétaire d’une ménagerie. Dans cet établissement, comme chacun sait, les animaux côtoient librement les spectateurs, et les lions s’attablent avec les agneaux durant des soirées entières. »

Lors d’une party de campagne organisée par Mrs Wimbush en l’honneur d’une princesse étrangère en visite en Angleterre, Paraday est particulièrement sollicité et montre des signes de grande fatigue physique et meurt. Malheureusement, le manuscrit de son dernier roman est perdu par mégarde par une amie de Mrs Wimbush…

 

Mon avis


Henry James nous dépeint ici la difficile situation d’un écrivain face à la célébrité et à la notoriété. C’est un thème intéressant qui confronte l’être et le paraître. Ici Paraday écrit pour être, c’est un besoin profond pour lui. Le paraître lui est plus difficile. L’auteur ne veut pas se dévoiler plus que ce qu’il donne déjà au travers de ses textes.

C’est ainsi que lorsque le narrateur, journaliste littéraire, est face à Morrow, journaliste à Babil pour la rubrique « Échos et ragot » ils ont une vision totalement opposée de la chronique a écrire sur Paraday. Le narrateur propose de découvrir l’auteur via son œuvre « la vie de l’artiste est son œuvre, et c’est le lieu ou on doit l’observer ». Au contraire, Morrow est à l’affût de détails croustillants sur la vie de l’auteur, il veut des révélations, un « scoop ». On passe du fond à la forme, de l’essentiel au superficiel.

Cette nouvelle qui date de 1894 est toujours, si ce n’est plus encore d’actualité dans notre société éminemment basée sur le paraître. Un artiste peut-il se permettre de publier sans communiquer, sans interagir avec son public, sans donner de sa personne au travers des médias, sans accorder de temps à ses fans ?

Paraday doit finalement se soumettre et s’exposer. « On pouvait dire ce qu’on voulait, le succès était une complication et la reconnaissance devait être réciproque ».

Le narrateur tente vainement de protéger son ami de ces sollicitations intempestives « il est importuné, harcelé, submergé, sous prétexte d’être applaudi. Des gens qui ne dépenseraient pas cinq shilling pour un de ses livres, attendent de lui qu’il dépense son temps, son précieux temps pour eux ».

Et c’est là le paradoxe : cette mise sous les projecteurs ne sert pas nécessairement les intérêts de ses ventes. Ceux qui s’intéressent à l’auteur en tant que personne (on peut y voir la presse people) ne sont pas ceux qui s’intéressent à son œuvre.

« Son livre ne se vendait que modérément, bien que l’article de l’Empire eut opéré des merveilles imprévues ; mais l’auteur en personne était diffusé à une échelle qu’auraient pu envier les libraires. »

Ici Paraday, déjà malade, accepte malgré tout de se prêter au jeu de la notoriété et va y laisser sa santé. Le Lion est mort, le vieux lion sage et solitaire est mort sous le joug de sa propre célébrité.

Si j’ai beaucoup aimé le propos, par contre la forme, le style de l’auteur de m’a pas plu. Les phrases sont longues et complexes. Il m’est arrivé de devoir en relire certaines deux fois pour en comprendre le sens. Cela a un peu freiné mon intérêt pour cette nouvelle.

 

Informations complémentaires


A propos de l’auteur

Henry James est né à New-York dans une famille très aisée qui fréquente les cercles littéraires et artistiques. Ses parents ont le goût du voyage et très vite il découvre les pays d’Europe où il acquière une très large culture littéraire et fréquente le grand monde. Dès son plus jeune age, Henry James aime les livres, romans, pièces de théatre et commence lui-même à écrire.

Son retour aux Etats Unis coincide avec la guerre de Sécession à laquelle il ne participe pas pour cause de blessure. Il abandonne rapidement ses études à Harvard pour se lancer dans une carrière d’écrivain. Un de ses frères deviendra philosophe. Il s’installe successivement à Paris puis à Londres ou il fréquente les soirées mondaines avec les écrivains en vogue. Ses romans et nouvelles y trouvent bon écho mais il est boudé aux Etats Unis. En 1914, il se fait naturaliser anglais et termine sa vie en Angleterre ou il décède en 1916.

Le mois anglais


C’est dans le cadre du mois anglais, initié par Cryssilda et Lou que j’ai eu envie de lire cette nouvelle. En effet, si Henry James est un écrivain américain, il a passé la plus grande partie de sa vie en Angleterre et s’est d’ailleurs fait naturaliser anglais. De l’auteur place l’action de cette histoire dans la société anglaise de la fin du 19ème siècle.

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8 commentaires

  1. Effectivement cela ne change pas beaucoup…mais il existe, de nos jours, l’effet inverse : celui de se montrer et c’est de plus en plus pathetique…dommage pour l’ecriture…dommage…le sujet etait assez interessant…

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