Deux nouvelles de Stefan Zweig : La gouvernante et Eros Matutinus

A la recherche d’une courte lecture, j’ai choisi de découvrir 2 nouvelles de Stefan Zweig : La gouvernante et Eros Matutinus. Grand bien m’en a pris car j’ai été vraiment captivée par l’éclairage qu’il apporte sur la société du début du 20ème siècle et sur le rapport à la sexualité qu’avait la jeunesse de l’époque.

La gouvernante et Eros Matutinus de Stefan Zweig

Titre : La gouvernante – Eros Matutinus

Auteurs : Stefan Zweig

Editeur :

Pages : 96 pages

Date de parution : 1907 pour La gouvernante – 1942 pour Eros Matutinus

Genre : Littérature autrichienne, Nouvelles, Classique

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L’histoire (4ème de couverture)


Deux fillettes surprennent la relation que leur gouvernante entretient avec leur cousin, et c’est pour Zweig l’occasion de raconter l’éveil à la sexualité dans une société du mensonge et de la dissimulation, une société qui fabrique en masse du secret. Cette nouvelle de 1907, proche de Brûlant secret, est suivie de l’un des meilleurs chapitres du Monde d’hier, « Eros matutinus », dans lequel Zweig revient avec une rare franchise sur ce que fut cette puberté pour lui et les jeunes garçons de sa génération.

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Mon avis sur ces nouvelles de Stefan Zweig


Bien qu’ayant un sujet commun, ces deux nouvelles sont assez différentes, aussi, vais-je vous donner un avis distinct pour chacune.

Mon avis sur La gouvernante de Stefan Zweig

La Gouvernante est une nouvelle publiée en 1907 dans le recueil Première épreuve de vie – Quatre histoires du pays des enfants qui contenait 4 nouvelles.

Dans cette nouvelle assez triste, je trouve que Stefan Zweig met parfaitement en exergue les conventions sociales de l’époque en opposant la douceur et la naïveté des deux petites filles avec la dureté du sort de la gouvernante.

On découvre, au travers des yeux candides deux sœurs de 12 et 13 ans, l’histoire de cette jeune gouvernante, séduite par le cousin de la famille, mise enceinte et puis jetée comme une malpropre. Le monde des deux petites filles bascule : elles découvrent avec effarement et colère que le cocon qui les entourait n’est pas si douillet, que le monde est dur et brutal pour les femmes.

« C’est une brusque horreur qui les secoue, la peur de tout ce qui pour elles va à présent sortir de ce monde inconnu dans lequel elles ont jeté aujourd’hui un premier regard plein d’effroi. Elles ont peur de la vie dans laquelle elles entrent maintenant, de la vie qui leur apparaît sombre et menaçante comme une forêt ténébreuse qu’elles seront obligées de traverser. »

A travers elles, on ressent toute l’injustice de la situation. Car, à l’époque, c’est une ignominie pour une jeune femme d’avoir des relations sans être mariée et la faute en incombe à elle seule.

Par le truchement des mots de ces enfants, Stefan Zweig pointe déjà, comme il le fera ensuite dans Eros Matutinus, le culte du silence et de l’ignorance érigé par la société et la religion en matière sexuelle ainsi que l’inégalité entre hommes et femmes en la matière.

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Mon avis sur Eros Matutinus de Stefan Zweig

Alors que La gouvernante est une nouvelle romancée, Eros Matutinus fait partie de l’autobiographie de Stefan Zweig intitulée Le monde d’hier, souvenirs d’un européen dont il a fait parvenir le manuscrit à son éditeur la veille de son suicide en 1942. Dans ce texte, Stefan Zweig nous fait part de ses réflexions sur la haute société autrichienne au début du XXème siècle.

J’ai trouvé ce texte vraiment très intéressant ! Stefan Zweig y décrit les contradictions d’une société qui veut taire le côté sexuel de l’individu et dissimuler toute forme d’érotisme mais au final ne fait qu’exacerber les désirs. Il prend ainsi l’exemple de la mode qui tente de cacher au maximum les corps mais qui aboutit au contraire à « faire ressortir la polarité des deux sexes ». Ainsi les corsets destinés à contraindre le corps font ressortir la poitrine des femmes et renforcent donc l’érotisme.

Stefan Zweig dénonce une société qui, en n’éduquant pas sa jeunesse sur la question essentielle de la sexualité, ne fait que créer méfiance et amertume. Les jeunes hommes, dénués de toute instruction sexuelle, sont encouragés à « jeter leur gourme » auprès de servantes ou de prostitués, au risque de contracter des maladies vénériennes. Le portrait de la prostitution qu’il trace est assez effrayant :

« La marchandise féminine s’offrait alors publiquement à chaque heure et à tous les prix. Se procurer une femme pour un quart d’heure, une heure, pour une nuit, coûtait aussi peu de temps de peine pour un homme que d’acheter un journal ou un paquet de cigarette. »

Quant aux jeunes filles de bonne famille, elles ne sauraient avoir aucun désir en dehors du mariage.

« Une fille de bonne famille, depuis sa naissance jusqu’au jour où elle quitterait l’autel en compagnie de son mari, devait vivre dans une atmosphère parfaitement stérilisée. C’est ainsi que la société d’alors voulait la jeune fille sotte et niaise, bien élevée et sans idée, curieuse et pudique, dénuée d’assurance et de sens pratique et,  grâce à cette éducation étrangère à la vie, destinée d’emblée à être, plus tard dans le mariage, formée et conduite passivement par l’homme. »

Bref, un texte qui met en lumière les conventions sociales et les tabous de la fin du 19ème / début du 20ème siècle en matière de sexualité.

 

Informations complémentaires


Biographie de Stefan Zweig

Né à Vienne en 1881, fils d’un industriel, Stefan Zweig a pu étudier en toute liberté l’histoire, les belles-lettres et la philosophie. Grand humaniste, ami de Romain Rolland, d’Émile Verhaeren et de Sigmund Freud, il a exercé son talent dans tous les genres (traductions, poèmes, romans, pièces de théâtre) mais a surtout excellé dans l’art de la nouvelle (La Confusion des sentiments, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme), l’essai et la biographie (Marie-Antoinette, Fouché, Magellan…). Désespéré par la montée du nazisme, il fuit l’Autriche en 1934, se réfugie en Angleterre puis aux États-Unis. En 1942, il se suicide avec sa femme à Petrópolis, au Brésil.

Biographie de Stefan Zweig (non exhaustive)

Rêves oubliés – Dans la neige – Une jeunesse gâchée – Printemps au Prater – L’Étoile au-dessus de la forêt – Les Prodiges de la vie – L’Amour d’Érika Ewald – La Marche – La Scarlatine – Première épreuve de vie – Conte crépusculaire – La Gouvernante – Brûlant secret – Le Jeu dangereux – Amok – La femme et le paysage – La Nuit fantastique – La Ruelle au clair de lune -Lettre d’une inconnue – La Confusion des sentiments – Vingt-quatre heures de la vie d’une femme – Destruction d’un cœur – Un mariage à Lyon – Dans la neige – La Croix – Histoire d’une déchéance – La légende de la troisième colombe – Au bord du lac Léman – La Contrainte – La Peur – Révélation inattendue d’un métier – Le Bouquiniste Mendel – La Collection invisible – Un épisode de l’inflation en Allemagne – Voyage dans le passé – Le Jeu dangereux – Le Chandelier enterré – Un soupçon légitime – Les Deux Jumelles – La Pitié dangereuse – Le Joueur d’échecs – Un homme qu’on n’oublie pas – Wondrak – La Vieille Dette – Clarissa – Volpone – Le monde d’hier, souvenirs d’un européen – Marie Stuart – Marie Antoinette

2 commentaires

    • C’est vrai que ce ne sont pas les plus connues 😉 En fait, j’ai ressorti un recueil de nouvelles de Stefan Zweig acheté il y a longtemps et comme elles sont courtes, j’en ai lu 4 ou 5 à la suite.
      Parmi ses romans plus connus, lequel me conseillerais-tu ?

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